Pourquoi l’économie du partage est une opportunité pour les villes

Nos amis de Shareable ont récemment publié Policies for Shareable Cities (Politiques pour des villes à partager), un rapport expliquant comment les leaders des villes peuvent encourager l’économie du partage à travers des changements de politique. Nous avons eu la chance de contacter par mail Neal Gorenflo, cofondateur de Shareable et coauteur du rapport, pour lui poser quelques questions sur le projet. Il nous explique pourquoi adopter l’économie du partage est la prochaine étape logique pour les villes.

This Big City: Peux-tu commencer par expliquer brièvement aux lecteurs de This Big City ce qu’est l’économie du partage, et pourquoi tu penses qu’elle représente une telle opportunité pour les villes?

Neal Gorenflo: Pour nous, l’économie du partage, c’est l’économie du peuple. Elle est financée, détenue et contrôlée démocratiquement par ceux qu’elle sert. C’est une troisième voie pour satisfaire nos besoins quelque part entre le marché et l’Etat et en relation avec ces deux sphères.

Cependant, elle va à contre-courant du système actuel où, dans la société, l’économie est une fin en soi. A l’inverse, l’économie du partage représente un moyen pour atteindre un but. Elle peut potentiellement nous donner plus de liberté en réduisant les ressources nécessaires pour satisfaire nos besoins. Le but étant que les gens soient libres de rechercher ce qui leur donne le plus de satisfaction, le plus longtemps possible.

Cela tourne généralement autour de la famille, la communauté, la spiritualité, la santé, l’art, la connaissance, la vie civique, etc. En d’autres termes, toutes ces activités qui offrent une satisfaction croissante au fil du temps. A l’opposé, accumuler des biens offre une satisfaction décroissante sur la durée. C’est pourquoi la culture de la consommation est une voie de garage. L’idée derrière tout ça est donc qu’il y a une vraie opportunité pour les villes de donner plus de pouvoir aux citoyens pour créer une nouvelle expérience urbaine, plus libératrice et conviviale.

Pour nous, l’économie du partage pose la question suivante: que serait la vie dans les villes si nous étions en grande partie libérés de ce que les gens entendent aujourd’hui par « travail »? Je pense qu’on passerait notre temps à faire ce qu’on aime avec les gens qu’on aime dans les endroits qu’on aime. Nous passerions notre temps à participer à la vie de la communauté. Je ne peux rien imaginer de mieux. Pour quelle autre raison les villes devraient-elles exister?

Enfin, ça, c’est la vision de Shareable. Certains définiront l’économie du partage comme un concept technologique, comme l’accès remplaçant la propriété. Il y a de ça, mais encore une fois, technologie et accès sont des moyens, et non des fins.

Le rapport s’intéresse à quatre domaines: transports, nourriture, logement et emploi. Y a-t-il d’autres secteurs où l’économie du partage pourrait changer la manière de vivre des gens?

Oui, absolument, c’était juste un début. La nourriture, le logement et les transports sont les trois postes de dépenses les plus importants chez les ménages américains. Et c’est en travaillant que les gens gagnent leur vie. Ce sont donc de bons points de départ.

On pourrait s’attarder sur d’autres secteurs, comme l’énergie, les télécommunications et la finance. Là aussi, l’économie du partage peut apporter ses solutions. On a besoin d’une rubrique sur la manière dont on pourrait ouvrir le processus politique. Par exemple, nous défendons le budget participatif, où les citoyens décident comment la ville doit dépenser son budget là où ils vivent. Et pour la culture et les loisirs, on pourrait s’intéresser aux infrastructures et aux politiques qui visent à étendre l’espace public.

Votre rapport mentionne les barrières légales, qui empêchent l’économie du partage de progresser. Comment, si c’est possible, les gens peuvent-ils les éviter?

Ce rapport est un guide, mais c’est aussi un appel à l’action. Le partage est une grande opportunité pour changer les choses dans le bon sens. Prenez, par exemple, l’autopartage. Chaque voiture partagée remplace 13 voitures achetées. 50 % des nouveaux membres des réseaux d’autopartage s’inscrivent pour avoir accès à une voiture à laquelle ils n’avaient pas accès. Et pour 15 000 voitures économisées sur le salaire des consommateurs, une ville peut conserver dans son économie locale un montant estimé à cent millions d’euros par an.

Qu’en serait-il si ce fonctionnement se généralisait dans l’économie? Nous pourrions diminuer radicalement notre consommation de ressources tout en améliorant radicalement l’accès à ces ressources et en renforçant l’économie locale. Aucune autre stratégie ne peut relever à elle seule les deux plus gros défis auxquels la société est confrontée: la pauvreté et le changement climatique.

Il faut ensuite savoir que la plupart de nos recommandations sont des solutions pratiques et neutres du point de vue politique et idéologique. Malgré les violentes batailles légales auxquelles se livrent les sociétés de partage de logements et de véhicules comme Airbnb et Sidecar, il y a un boulevard qui s’ouvre à l’économie du partage. Shareable vient de lancer Le Réseau des villes à partager (The Sharing Cities Network) pour rassembler les gens autour de cette vision.

De nombreuses lois sont établies au niveau local, et vous affirmez que des villes américaines comme Cleveland, Austin, Chicago, New York et San Francisco encouragent efficacement le partage à l’échelle urbaine. Qu’est-ce que les autres villes peuvent apprendre d’elles?

On en apprendrait sans doute plus de Séoul, en Corée du Sud, où le maire Park a mis sur pied une initiative impressionnante, « Séoul, la ville du partage ». Il s’agit d’un vaste plan pour faciliter le partage entre les habitants de Séoul. L’une des principales motivations est de construire une vraie communauté à Séoul et de réduire le nombre de suicides. La Corée du Sud a le taux de suicide le plus élevé des trente pays de l’OCDE. Ce taux de suicide est lié à une économie de plus en plus concurrentielle et occidentalisée. Le projet du maire Park inclut le financement participatif de start-ups, la promotion des entreprises basées sur un système de partage, et bien plus encore.

On pourrait aussi apprendre beaucoup de régions comme l’Emilie-Romagne, en Italie ou le Pays Basque espagnol, qui ont adopté un modèle de développement économique reposant sur les coopératives. Une très grande part de ces économies régionales se compose de coopératives de travailleurs ou en gestion (respectivement, 30 % et 60 %). Cela stabilise les salaires, limite le chômage et, plus généralement, rend l’économie locale plus résiliente.

Aujourd’hui, Cleveland adapte ce modèle à son économie locale, en se servant d’“institutions-clés”, comme les universités et les hôpitaux, pour développer les coopératives. Là-bas, les coopératives Evergreen fournissent à ces institutions de l’énergie issue de sources alternatives, des services de blanchisserie écologiques et des services de restauration biologique.

Parmi les projets décrits dans le rapport, lesquels préférez-vous?

Dans la rubrique transports, j’aime l’idée du parking gratuit pour les voitures en autopartage. C’est tellement simple, l’impact de l’autopartage est énorme, comme je l’ai déjà souligné, et c’est ce que les sociétés du secteur attendent le plus de la ville à San Francisco et, à mon avis, ailleurs aussi.

En ce qui concerne la nourriture, j’aime les politiques qui contribuent à renforcer le secteur alimentaire local, comme l’autorisation de produire certains types de produits alimentaires dans les cuisines domestiques, le soutien aux cuisines commerciales partagées, et la mise en disponibilité de parcelles urbaines cultivables. Ces initiatives peuvent créer des emplois locaux et améliorer l’accès à de la nourriture saine.

Pour le logement, l’initiative que je préfère est sans hésiter le soutien au logement coopératif, car cela pourrait bien être la meilleure solution pour rendre le logement plus abordable dans les villes. New York a une longue tradition de logement coopératif, mais on pourrait sans doute s’inspirer davantage de villes européennes comme Vienne, qui a presque un siècle d’expérience de logement coopératif et public moderne.

Pour l’emploi, tout est dans les coopératives. Les Etats-Unis appliquent avec succès le modèle coopératif depuis les années 30 pour développer les zones rurales. Il est temps que les villes fassent de même. Les coopératives restent locales, offrent de meilleurs salaires, et résistent mieux aux crises économiques. L’histoire nous montre que c’est un investissement sur le long terme pour les villes.


Images: Steven Vance. Traduit de l’anglais par Jérôme Denis.