Villes et santé : les leçons à tirer de plusieurs siècles d’accessibilité piétonnière à Guanajuato

Au cours des dix dernières années, aux Etats-Unis, la relation entre accessibilité piétonnière et santé a été l’objet de beaucoup d’attention. En proposant une alternative à la conduire automobile, les villes (souvent denses) qui favorisent la marche à pied encouragent l’activité physique, améliorent la qualité de l’air et créent même du lien social. Comment la relation entre accessibilité piétonnière et santé se manifeste-elle au Mexique, notre voisin du sud, où de nombreuses villes coloniales sont devenues de véritables centres piétonniers au cours des siècles passés?

J’ai vécu dans une telle ville – Guanajuato, au cœur géographique du Mexique – pendant plusieurs mois l’an dernier. La réputation de cette ville tient à plusieurs facteurs: le rôle qu’elle a joué dans l’indépendance du pays, son festival mondial des arts (Cervantino), ses mines d’argent, sa collection de momies de renommée cinématographique. Mais c’est son réseau de ruelles pavées traversant le centre-ville qui impressionne les visiteurs, et les encourage à choisir la marche comme moyen de transport quotidien. Sur de nombreux blogs de voyage et sites d’avis, les voyageurs font l’éloge de sa magnifique architecture et de sa vie culturelle dynamique, dont on peut faire la découverte à pied.

La ville de Guanajuato est même apparue dans un article publié en 2011 dans une revue de santé publique , et intitulé « Le rôle des cliniciens dans l’autonomisation des communautés par l’utilisation de l’environnement bâti » [The Role of Clinicians to Empower Communities through Utilization of the Built Environment]:

[Une infirmière en santé publique] était en visite à Guanajuato, une ville mexicaine presque entièrement piétonne. « La marche est le moyen de transport de tout le monde, du sénateur se rendant au bureau à l’habitant allant faire ses courses» [, dit-elle]. Elle a aussi remarqué que les gens ne souffraient pas autant de surpoids qu’aux États-Unis.

Mais les experts locaux, connaissant bien ces espaces historiques denses, voient-ils la santé du même œil? Je suis entré en contact – de vive voix et par email – avec Manuel Sánchez Martínez, un professeur d’architecture de l’Université de Guanajuato habitant Guanajuato depuis 35 ans. Dr Sánchez est en grande partie d’accord avec l’idée que les environnements piétons peuvent avoir des effets positifs sur la santé, et en particulier sur la préparation physique. Il met cependant en garde contre une densification sans une prise en compte de la sécurité. « Pour les personnes âgées ou handicapées vivant dans des villes piétonnes, c’est un problème. Il faut être prudent quand on foule le pavé de Guanajuato, un accident est vite arrivé ».

Cheville carrée dans un trou carré (et à peine plus grand): un autobus empiète sur le trottoir dans cette ruelle très fréquentée.

Bien que marcher à Guanajuato soit, pour moi, un pur bonheur, je dois admettre que le professeur a raison. Certaines des rues étroites vont à l’encontre de toute logique (ou de toute règle géométrique) puisque, malgré le trafic, on y trouve à peine un trottoir. Et si l’on y trouve des abuelas faisant preuve d’une condition physique impressionnante, montant des escaliers raides et inégaux les bras chargés de courses, ce type d’accessibilité piétonnière pourrait certainement bénéficier d’améliorations en matière de sécurité. Dr Sánchez s’inquiète du moment où, devenu âgé, il devra monter la colline pour rejoindre sa maison. Quand je lui ai demandé ce qui pourrait améliorer la ville, il a répondu : « À mon avis, ce serait bien s’il y avait des arbres dans les rues, des garde-fous à certains endroits et des espaces pour se reposer ». Cela me rappelle que certains urbanistes réclament des « sit-able cities [villes où on peut s’asseoir]». Ils pourraient bien avoir raison – surtout dans des villes, comme Guanajuato, dont les habitants ne sont pas toujours jeunes ni en grande forme physique.

 L’une des rares rampes d’accès pour fauteuil roulant de la ville.

Il faut souligner que ce modèle de développement n’est pas entièrement représentatif du Mexique, tout comme Boston (dont les rues sinueuses offrent ici une comparaison intéressante) n’est pas représentatif de l’ensemble des États-Unis. Le fait que l’obésité soit aujourd’hui plus répandue au Mexique qu’aux États-Unis suggère que les villes coloniales piétonnes représentent davantage des exceptions au sein d’une multitude de facteurs environnementaux, économiques et sociaux responsables de cette maladie chronique. Les villes comme Guanajuato doivent être reconnues, chéries et améliorées afin de contribuer à la santé et la sécurité de tous les résidents.

Tandis que nous continuons à promouvoir des villes saines, rappelons-nous que ce n’est qu’aux États-Unis (et dans d’autres pays dépendant principalement de l’automobile) que l’accessibilité piétonnière est véritablement une innovation. Nous devrions prendre exemple sur les villes qui, à l’instar de Guanajuato, font bien les choses depuis des siècles.


Dale Terasaki, originaire de Seattle, poursuit des études en médecine et santé publique à l’Université de Washington.

Traduit de l’anglais par Jacinthe Garant