Je me trouve à La Plata, la capitale énigmatique de la plus grande province d’Argentine, à environ une heure de train au sud de Buenos Aires. Sept jours avant ma visite, une cinquantaine de personnes ont perdu la vie suite à des inondations dévastatrices. Aujourd’hui, la vie a repris son cours dans la ville. Mais alors que j’avance sur le pont qui traverse le ruisseau Arroyo del Gato, un paisible cours d’eau qui coule à l’ouest de la ville, les choses semblent bien différentes. Les banlieues autour des grandes villes en Argentine sont toujours un peu sordides, mais ici c’est une autre paire de manches. Des déchets jonchent les rives du ruisseau en aval du pont ; une triste indication qu’une semaine auparavant, ce ruisseau boueux a pris des airs de torrent déchaîné et a submergé le pont ainsi que le reste de la ville.
Le 2 avril dernier, une succession de pluies diluviennes se sont abattues pendant deux jours. Au final, ce sont 400mm de pluie qui sont tombés autour de La Plata. A Buenos Aires, les dégâts étaient considérables, mais à La Plata, ils étaient bien plus importants. Entre le centre et les quartiers de Tolosa et Ringelet, à l’ouest de la ville, des maisons ont été inondées, des voitures balayées, les biens de certains habitants ont été détruits et le courant a été coupé par endroit pendant près de deux jours. Les personnes touchées par cette catastrophe ont naturellement été scandalisées et s’en sont prises au gouvernement fédéral. Pour calmer les esprits, la présidente Cristina Fernandez de Kirchner a réagi en prenant la pose pour la presse dans les quartiers frappés par les inondations, mais en vain. Le mal était fait, et le simple fait de figurer sur une photo avec la presidenta pouvait difficilement suffire à faire taire celles et ceux qui avaient perdu des objets de valeur, ou pire, des êtres chers.
Bien que la cause officielle des inondations n’ait pas été établie, un article publié dans le journal argentin explique qu’elles sont probablement dues à la grande quantité de débris créant des « barrages accidentels » au niveau des ponts qui traversent l’Arroyo del Gato. En jetant à présent un œil au ruisseau, cela ne me surprend pas. Il y a assez de déchets pour créer un barrage accidentel, même sans les pluies torrentielles. En marchant le long du ruisseau, je m’aperçois rapidement qu’il serait sage de ne pas poursuivre mon chemin. Les habitants démunis ont construit des maisons de fortune à l’aide de divers matériaux trouvés, créant un quartier appelé en Argentine « villa » (bidonville). Les villas sont très nombreuses partout dans le pays. Elles sont réputées pour leur criminalité et leur insalubrité. Malheureusement, elles sont généralement construites dans des zones non adéquates au développement, dans lesquelles personne ne souhaiterait y vivre ; des zones exposées aux inondations par exemple. Il en résulte que ces constructions précaires sont balayées par les inondations et créent des barrages accidentels qui ne font qu’empirer la situation. En regardant autour de la villa, je vois une pile de grands tuyaux en ciment. Si seulement ils avaient été installés avant ces pluies.
En quittant la villa et en me dirigeant vers le centre ville, j’aperçois une grande tente gonflable qui affiche « Instituto de Previsión Social » (Institut de prévoyance sociale). Des employés du gouvernement de la province sont à l’œuvre. Il s’agit d’une des nombreuses opérations menées par la ville, l’État et le gouvernement fédéral pour venir en aide aux victimes des inondations. Des motivations politiques se cachent derrière ces bonnes intentions. Bien que certains dirigeants de ces entités soient du même parti, des rivalités politiques existent entre eux. Et tous font de leur mieux pour apparaître comme un bon samaritain. Toujours est-il que leurs efforts sont des pas en avant pour tâcher de rétablir la situation là où ils ne l’ont pas encore fait : chez les habitants.
J’arrive à la gare, au centre de La Plata, je franchis des pancartes qui appellent aux dons et des indications de retards laissées par les employés de la gare. En rentrant à Buenos Aires, je lis dans le train un article sur les inondations dans lequel un climatologue argentin de renom confirme que la tempête de pluie a été aggravée par le rechauffement climatique, dans un scénario similaire à ce qu’il s’est produit pendant l’ouragan Sandy. Cela pourrait d’ailleurs se produire dans différentes régions du monde. Des systèmes d’évacuation des eaux qui semblent adéquats sont soudainement insuffisants et des milliers de personnes se retrouvent rapidement submergées.
Heureusement, ces inondations tragiques ont donné lieu à certaines nouvelles réjouissantes. Plusieurs équipes d’architectes et d’ingénieurs de La Plata et de Buenos Aires se sont réunies pour évaluer la situation. L’un des architectes, M. Adolfo Rossi, a suggéré plusieurs solutions techniques pour éviter les inondations telles que le recours à de meilleures canalisations et à des « bassins de rétention », un système utilisé au Brésil. En outre, les urbanistes Laila Robeldo et Amelia Sardo soulignent qu’il est temps de repenser le paradigme de planification urbaine en général : « [Nous devrions] considérer la planification urbaine comme une responsabilité sociale », ont-elles écrit dans un récent article.
Au lendemain de cette tragédie, le message est clair, et pas seulement pour l’Argentine, mais pour toutes les zones urbaines exposées aux inondations partout dans le monde. Il est grand temps de se pencher sur les systèmes d’évacuations des eaux actuels en vue de solutions pour augmenter leur efficacité. Et profitons-en pour nous assurer que nos stratégies de politiques urbaines sont efficaces et permettent à de tels systèmes d’être construits. C’est d’une importance capitale.