Leipzig, ville pionnière dans le champ des arts visuels (et peut-être la relève de Berlin)

A l’échelle internationale, Berlin est encore considérée comme l’une des villes les plus créatives et médiatisées, et comme la ville par excellence où les artistes internationaux – chassés hors de Londres, Paris ou Amsterdam (pour ne citer que quelques villes) par le coût de la vie – devraient emménager. Mais les artistes visuels allemands pensent que Berlin est en train de s’épuiser créativement, à cause de la pression exercée par un marché du logement de plus en plus difficile, et qui limite les possibilités de participer à des expositions et des interventions artistiques. Si l’opinion internationale ne partage pas encore ce sentiment, en l’Allemagne, l’attention s’est portée vers Leipzig – une ville de 500 000 habitants située à 90 minutes de Berlin en allant vers le sud.

Leipzig est la plus grande ville de l’Etat libre de Saxe. C’est une ville universitaire populaire qui attire de plus en plus d’étudiants étrangers. En plus d’être reconnue comme une capitale musicale (Johann Sebastian Bach vivait à Leipzig), elle possède une scène artistique très vivante, en partie liée à la très réputée Académie des Arts Visuels de Leipzig. Après la réunification allemande, Leipzig perdit autour de 100 000 habitants, à cause de mouvements d’émigration économique vers l’Allemagne de l’Ouest et à cause d’une vague de suburbanisation. Un grand nombre de propriétés devinrent inoccupées. La plupart d’entre elles étaient de grandes maisons de ville qui attirent désormais la classe moyenne.

Studio à Lützner Straße

Avant la réunification, le paysage artistique de Leipzig se limitait à quelques galeries illégales installées dans des salles de séjour de particuliers – en effet, l’Etat communiste d’Allemagne de l’Est ne permettait pas l’existence d’un marché de l’art indépendant. Cela changea du tout au tout avec la réunification. Par exemple, trois investisseurs d’Allemagne de l’Ouest achetèrent une usine de coton désaffectée, et la transformèrent en un espace qui accueille désormais plus de 100 artistes contemporains (dont beaucoup d’artistes formés à l’Académie des Arts Visuels de Leipzig). Le Spinnerei, situé à la frontière entre Lindenau et Plagwitz, accueille une sélection de galeries de réputation internationale, telles que la Galerie Eigen+Art qui avait été fait ses débuts comme galerie « de salle de séjour » dans les années 80.

Bien que cet espace fournisse d’excellents équipements de travail pour les artistes visuels, certains d’entre eux ont pris leurs distances avec cet environnement dominé par le marché de l’art. Ils se sont impliqués dans divers projets hors-site (e.g. Lindenau), utilisant les espaces publics pour leurs expositions et ateliers ou pour des projets davantage permanents. Cela leur est cependant devenu de plus en plus difficile à cause du processus de gentrification modérée affectant désormais les quartiers de Lindenau et Plagwitz, qui accueillent actuellement une grande partie de la scène artistique. Certains artistes se tournent actuellement vers l’est de la ville, où ils peuvent accéder à des propriétés meilleur marché ou même gratuites, en échange de leur engagement à en prendre soin. Il est également remarquable que beaucoup d’artistes soient désormais propriétaires : c’est est en effet le meilleur moyen de ralentir la gentrification et de préserver les espaces publics sur le long terme.

L’Académie des Arts Visuels de Leipzig

Bien que l’infrastructure culturelle de Leipzig soit limitée comparativement à d’autres villes globales, la qualité des productions artistiques et institutions y est indéniable. C’est en partie dû au fait que les apprentis artistes fréquentent souvent les écoles d’art pendant plus de cinq ans, ce qui leur donne la possibilité et le temps de développer leur pratique à l’abri des pressions de la quête du succès instantané qui caractérisent le monde de l’art. Cette liberté – de développer une pratique artistique indépendante loin des pressions financières et commerciales – offre une alternative rafraîchissante à un monde de l’art global fortement monétarisé. Cela n’a pas échappé aux artistes internationaux qui se ruent vers Leipzig afin de faire l’expérience de cette aire de jeu grandeur nature et de ses opportunités. Des artistes venus de Berlin ou de Hambourg, lassés de payer des loyers exhorbitants pour se loger et travailler, ont également emménagé à Leipzig.

D’un côté, c’est une tendance positive qui permet de connecter la ville aux réseaux artistiques internationaux. De l’autre, cela attire également de plus en plus d’investisseurs qui copient les artistes, et utilisent leurs méthodes de travail pour embellir leurs projets immobiliers en apparence socialement engagés. L’est de la ville possède encore de nombreux espaces ayant besoin d’être régénérés, ce qui veut dire qu’il y a encore de la place pour des espaces de création temporaire, de nouveaux logements et davantage d’artistes. Mais ces artistes y trouveront-ils ce qu’ils sont venus chercher, dans une ville où l’économie est encore affectée par des taux de chômage élevés ? Ou bien arriveront-ils à créer leur propre économie non-monétaire ? Et cela est-il possible ? Une question importante me taraude : est-il vraiment possible de préserver des espaces publics permettant à des pratiques créatives et socialement viables peuvent être pérennisées ? Je crois que la réponse réside dans notre capacité à apprendre des artistes, et notamment à apprendre comment fonctionnent les économies alternatives et comment celles-ci peuvent améliorer et même sauver le droit à la ville. Cela exige une exploration stimulante et interdisciplinaire, à l’intersection des pratiques artistiques et de l’urbanité.


Silvie Jacobi est une artiste et professionnelle dans le domaine des stratégies culturelles. Elle termine actuellement un Master Villes Créatives à King’s College London.

Images de Silvie Jacobi. Traduit de l’anglais par Elsa Burzynski

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