Pourquoi l’avenir de l’art est dans la rue

Les taux de violence ont nettement augmenté à Caracas, au Vénézuéla, plaçant la ville parmi les 5 villes les plus dangereuses au monde, non seulement au regard des taux élevés d’homicides, vols et enlèvements, mais aussi au regard de l’hostilité envers les minorités.

Somos Posible est une ONG vénézuélienne créée en 2005 dans l’idée de promouvoir une culture de la paix et un développement humain durable dans la ville de Caracas. Cette organisation est principalement connue pour son projet Échale Color, inspiré par l’initiative internationale Let’s Colour Project qui cherche à transformer l’espace public à travers la peinture.

Actuellement, Somos Posible développe trois programmes majeurs : VAMOS, Paz con Todo et Échale Color. L’ensemble de ces programmes implique des communautés défavorisées.

VAMOS est un programme éducatif qui aide des lycéens et étudiants à atteindre leurs objectifs à travers des échanges avec divers ambassadeurs tels que Maickel Melamed (un coureur de fond), Norelys Rodriguez (un mannequin vénézuélien), Antonio Diaz (un karatéka vénézuélien).

Paz con Todo est inspiré de l’initiative mondiale Peace One Day, qui célèbre chaque 21 septembre la journée de la paix mise en place par les Nations Unies. Les membres de Paz con Todo sont convaincus que la paix est la condition sine qua non pour atteindre un développement humain, et que cet objectif peut être atteint si chaque citoyen accepte d’agir en faveur de la paix en commençant par soi-même. Ce programme consiste à sensibiliser les citoyens vénézuéliens, générant des valeurs qui vont rendre possible la cohésion et le vivre-ensemble. Comme le rappelle l’association sur son site internet, elle n’appartient à aucun gouvernement ou institution et n’est liée à aucune idéologie politique ou religion.

Échale Color est un programme de participation citoyenne dédié à promouvoir auprès de différentes communautés l’intégration et le développement local à travers l’art. La peinture est utilisée afin de modifier l’aspect physique des quartiers, encourageant les habitants à se préoccuper davantage de leur environnement. Chaque intervention se déroule dans les barrios de la ville grâce à la participation active de familles, bénévoles et voisins.

La première étape d’Échale Color consiste à rencontrer les habitants. Avec l’appui de personnes ressources locales, les organisateurs proposent des journées où tout le monde à l’occasion de se rencontrer, d’apprendre à se connaître et de commencer à décider où, quand et quels vont être les motifs et les couleurs du projet artistique.

Une série d’ateliers est proposée dans les quartiers sur des thèmes tels que la résolution de conflits, la gestion des émotions, les bonnes pratiques de communication et le vivre-ensemble. Il est important d’expliquer pourquoi les interventions artistiques sont la clé pour réduire les problèmes sociaux, ceci aide les participants à avoir une idée plus précise du projet.

Durant tout un week-end les habitants et des centaines de bénévoles gravissent les collines et recouvrent toutes les façades de fresques artistiques et colorées choisies par les groupes locaux. Formes géométriques, couleurs intenses et activités ludiques permettent aux habitants de se rassembler pour une bonne cause.

Deux mois plus tard les bénévoles retournent sur le site et évaluent l’état des fresques et l’impact de l’action.

Jusqu’à présent, cinq interventions ont été menées à Caracas. Le premier projet Échale Color s’est déroulé en 2011 dans le quartier 24 de Marzo à Petare. La deuxième intervention s’est déroulée dans la Zona 7 du quartier José Felix Ribas, également à Petare. En 2013 l’équipe s’est étoffée et deux nouvelles interventions Échale Color ont été développées : la première dans la municipalité de Carabobo à Colegio Madre Misionera et la deuxième dans la zone de San Miguel I à la Cota 905 dans la municipalité Libertador.

Ces actions ont été un succès grâce à l’aide de tous les bénévoles, l’implication des habitants, le soutient de VODO Arquitectos et la participation de sponsors comme Edicom et Pinturas Montana qui ont fourni peinture, pinceaux, rouleaux et autres fournitures.

En octobre une nouvelle intervention s’est déroulée à Las Minas de Baruta à Caracas. En comptant cette dernière, Somos Posible a mené cinq interventions dans les trois municipalités de l’aire metropolitaine de Caracas, ainsi qu’une intervention dans une zone de la municipalité de Carabobo.

Emboîtant le pas au Vénézuéla, la Jamaïque a également rejoint le mouvement de la peinture. Paint Jamaica est une initiative avec un impact très positif sur les quartiers de Parade Gardens. Ce programme a débuté en juillet 2014 lorsque des artistes jamaïcains et un voyageur français ont décidé d’amener l’art dans les rues de Kingston. Leur idée était de révolutionner les rues à travers l’art et les talents locaux.

Paint Jamaica est également une cause sociale : le mouvement souhaite promouvoir la paix dans les quartiers défavorisés de Kingston. Grace aux réseaux sociaux et aux campagnes de financement collectif, Paint Jamaica a reçu le soutien de centaines de bénévoles, du label de musique Tuff Gong Worldwide et de Ziggy Marley.

Les interventions telles que celles décrites dans cet article aident au transfert de compétences et incitent les individus à s’exprimer. De plus, le simple fait de transformer le paysage visuel participe de réduire la criminalité et le dépôt sauvage d’ordures.

Comme le constate un membre de Paint Jamaica: « Les gens nous ont dit que lorsque nous embellissons une rue, les voisins sont plus enclins à vouloir la protéger et la préserver… d’où la tendance à voir disparaître les activités illicites ».

Dans des pays où la division sociale est très prononcée, comme au Vénézuela et en Jamaïque, la créativité fonctionne comme un facteur attractif positif, attirant des gens (y compris des nouveaux arrivants) qui ne s’étaient jamais rendus au sein des quartiers paupérisés.

Les interventions artistiques vont aussi encourager un sentiment de fierté auprès des habitants. Le sentiment d’appartenance à une communauté est renforcé, de nouvelles opportunités apparaissent, et les espaces publics deviennent des supports pour l’exposition d’œuvres d’artistes locaux.

La rue devient l’avenir de l’art. C’est l’espace idéal où tout le monde, sans discrimination, peut contempler une œuvre et être directement interpellé par le message véhiculé par celle-ci.


Tere García Alcaraz est une architecte et professionnelle du développement ayant travaillé en Equateur, au Vénézuéla, en Espagne et au Royaume-Uni. Elle vit à Londres.

Traduit de l’anglais par Yaël Raffner